Lettres de guerre

Edition numérique établie à partir de l'édition établie par Georges Hugnet chez K Editeur en 1949

La lettre à Aragon a toujours été publiée sans date alors que le manuscrit original est daté par Vaché lui-même (conservé à la Bibliothèque Nationale de France, dans le fonds Triolet-Aragon).

A André Breton, probablement en novembre 1916

La Rochefoucauld — le 27 —

13, rue des Tanneurs.

Cher ami,

Réussi — non sans peine — à obtenir une permission d’un petit major important et hérissé — Et suis arrivé — après des roues de wagon et des compartiments glacés — ici — Le trou classique et désuet — tel qu’ont coutume de le décrire les académiciens quand ils se mêlent de faire une « étude de mœurs ». Je ne suis arrivé que hier au soir — mais je suis déjà persuadé que la tenancière du bureau de tabac est grasse et brune — à cause des sous-offs — et que le café s’appelle « du Commerce » — à cause que c’est dans l’ordre — Enfin ici du moins j’ai ma liberté et je suis approximativement chez moi.

Quel trou — quel trou — quel trou ! Cela me confond toujours un court instant qu’il y ait là des individus qui y… vivent — durant une vie — Enfin ! — eux aussi « sont des gens sains » — « des vieux c… » — « qui n’y comprennent rien » — Tas de pauvres diables mornement humoristiques — avec un appareil digestif et un ventre — Mes frères — Noun di Dio !

Ah ! Ah ! ajouterait l’Hydrocéphale du Docteur Faustroll.

Donc je suis dans ma famille.

Je vous serai reconnaissant — Cher ami — de m’écrire un mot — Je vous préviens que je m’en vais de cette adresse Dimanche prochain.

Bonjour au tailleur de pierre mon voisin — et au peuple polonais.

Je vous serre la main.

Jacques Tristan Hylar

P.S. — Je me suis aperçu durant le trajet — en y passant — que Saintes — n’était pas dans le Midi à côté de l’île d’Hyères ainsi que je le croyais — je vous en fais part — les voyages forment la jeunesse.

A André Breton, le 5 juillet 1916

X. le 5 juillet 1916

Cher ami,

J’ai disparu de la circulation nantaise brusquement et m’en excuse — Mais M. le Ministère de la Guerre (comme ils disent) — a trouvé indispensable ma présence au front dans un délai très bref… et j’ai dû m’exécuter.

Je suis attaché en qualité d’interprète aux troupes britanniques. — Situation assez acceptable en ce temps de guerre, étant traité comme officier — cheval, bagages variés et ordonnance — Je commence à sentir le Britannique (la laque, le thé et le tabac blond).

Mais tout de même, tout de même, quelle vie ! Je n’ai (naturellement) personne à qui parler, pas de livres à lire, et pas le temps de peindre — En somme redoutablement isolé — I say, Mr the Interpréter — Will you… Pardon, la route pour ? Have a cigar, sir ? — Train de ravitaillement, habitants, maire et billet de logement — Un obus qui affirme et de la pluie, la pluie, la pluie, pluie — de la pluie — de la pluie — deux cents camions automobiles à la file, à la file — à la file…

En total, je suis repris du redoutable ennui (voir plus haut) des choses sans aucun intérêt — Pour m’amuser — J’imagine — Les Anglais sont en réalité des Allemands, et je suis au front avec eux, et pour eux — Je fume à coup sûr un peu de « touffiane », cet officier « au service de sa Majesté » va se transformer en androgyne ailé et danser la danse du vampire — en bavant du thé au lait — Et puis je vais me réveiller dans un lit connu et je vais aller décharger des bateaux — avec vous à côté de moi — brandissant le bâton à électricité…

Oh ! assez — assez ! et même trop — un complet noir, un pantalon à pli, des vernis corrects — Paris — étoffes rayées — pyjamas et livres non coupés — où va-t-on ce soir ?… nostalgiques choses mortes avec l’Avant-guerre — Et puis — quoi après ? ? Nous allons rire, n’est-ce-pas ?

« … Nous irons vers la ville… »

« Votre âme est un paysage choisi… »

« Sa redingote puce avait coutume de s’alourdir aux poches… »

« Le cœur content, je suis monté… »

L’après-midi d’un faune et Césarée… Elvire aux yeux baissés et la sœur de Narcisse nue.

Oh ! assez ! assez ! et même trop.

Sidney, Melbourne — Vienne — New York et retour — Hall d’Hôtel — paquebot verni, bulletin de bagage, Gérant d’Hôtel — Rastaquouères — et Retour.

Je m’ennuie, cher ami — vous voyez — mais je vous ennuie aussi et je m’arrête ici après réflexion.

Rappelez-vous que j’ai (et je vous prie d’accepter cela) une bien bonne amitié pour vous — que je tuerai d’ailleurs — (sans scrupules peut-être) — après vous avoir indûment dévalisé de probabilités incertaines…

Je vous demande maintenant sérieusement de m’écrire…

M. Vaché — interprète —

H. Q. 517th Div. Train A.S.C. B.E.F.

Je salue le peuple polonais selon les rites et je vous donne le souvenir de

Jacques Tristan Hylar

P.S. : Je relis ma lettre, et la trouve — en somme — incohérente — et bien mal écrite — Je m’en excuse poliment. Dont acte.

J.T.H.

A André Breton, le 11 octobre 1916

X. le 11 octobre 16.

3 P.M.

Cher ami,

Je vous écris d’un lit où une température agaçante et la fantaisie m’ont allongé au milieu du jour.

J’ai reçu votre lettre hier — L’Evidence est que je n’ai rien oublié de notre amitié, qui, j’espère durera — tant rares sont les sârs et les mîmes ! — et bien que vous ne conceviez l’Umour qu’approximativement.

Je suis donc interprète aux Anglais et y apportant la totale indifférence ornée d’une paisible fumisterie — que j’aime à apporter es les choses officielles — Je promène de ruines en villages mon monocle de Crystal et une théorie de peintures inquiétantes.

J’ai successivement été un littérateur couronné, un dessinateur pornographe connu et un peintre cubiste scandaleux — Maintenant, je reste chez moi et laisse aux autres le soin d’expliquer et de discuter ma personnalité d’après celles indiquées.

Le résultat n’importe.

Au surplus j’imagine être dans l’Armée allemande et y réussis — Cela change, et je suis arrivé à avoir la certitude de servir contre les armées alliées — Que voulez-vous ?…

Je vais en permission vers la fin de ce mois, et passerai quelque temps à Paris — j’y ai à voir mon très meilleur ami que j’ai complètement perdu de vue.

Une prochaine lettre contiendra — n’en doutez — une effigie de guerre — selon un post-scriptum raturé avec soin.

Où est T.F. ? — J’ai écrit au peuple polonais, une fois je crois, en réponse à deux amusantes lettres.

Pourrai-je demander aussi une correspondance de vous ? — Je suppose — ayant pris la plume — pouvoir à l’avenir en user plus aisément ; d’ailleurs je vous ai écrit déjà une fois, si je me souviens ?

A part cela — qui est peu — Rien. L’Armée Britannique, tant préférable qu’elle soit à la Française, est sans beaucoup d’Umour.

J’ai prévenu plusieurs fois un colonel à moi attaché que je lui enfoncerai un petit bout de bois dans les oneilles — Je doute qu’il m’ait entièrement saisi — d’ailleurs ne comprenant pas le Français.

Mon rêve actuel est de porter une chemisette rouge, un foulard rouge et des bottes montantes — est d’être membre d’une société chinoise sans but et secrète en Australie — Je ne nie d’ailleurs pas qu’il y ait là du vampire. Vos illuminés ont-ils le droit d’écrire ? — Je correspondrais bien avec un persécuté, ou un « catatonique » quelconque.

En attendant, je relis Saint Augustin (pour imaginer un sourire du peuple polonais), et essayer d’y voir autre chose qu’un moine ignorant de l’Umour.

Sur ce, je commence d’attendre une réponse, cher ami, à cette incohérence qui n’en comporte guère, et vous demande de croire à mon souvenir.

Jacques Tristan Hylar

A André Breton, le 29 avril 1917

X. 29-4-17.

Cher ami,

A l’instant, votre lettre.

Il est inutile — n’est-ce pas ? de vous assurer que vous êtes toujours resté souvent sur l’écran — Vous m’écrivez une missive « flatteuse » — Sans doute pour m’obliger décemment à une réponse qu’une grande apathie comateuse reculait toujours — Au fait pendant combien de temps, au dire des autres ?…

Je vous écris d’un ex-village, d’une très étroite étable-à-cochon tendue de couvertures — Je suis avec les soldats anglais — Ils ont avancé sur le parti ennemi beaucoup par ici — C’est très bruyant — Voilà.

Je suis heureux de vous savoir malade, mon cher ami, un peu — Je reçois une lettre de T.F. presque non-inquiétante — ce garçon m’attriste — je suis très fatigué de médiocres, et me suis résolu à dormir un temps inconnu — l’effort seul d’un réveil de ces quelques pages m’est difficile ; cela ira peut-être mieux la prochaine fois — Pardon — n’est-ce pas ? n’est-ce pas ? Rien ne vous tue un homme comme d’être obligé de représenter un pays — Aussi.

De temps en temps — pour ne pas tout de même être suspect de mort douce, une escroquerie ou un tapotement hamical sur quelque tête de mort familière m’assure que je suis un vilain monsieur — Aujourd’hui, présenté à un générale de Division et à Tat-Major comme un peintre fameux — (je crois que le dit a 50 ou 70 ans — peut-être est-il mort aussi — mais le nom reste) — Ils (le Générale et le Tat-Major) se m’arrachent — c’est curieux et je m’amuse à deviner comment cela tombera à plat — En tout cas… D’ailleurs… Et puis cela m’est assez indifférent, quant au fond — ce n’est pas drôle — pas drôle du tout. Non.

Etes-vous sûr qu’Apollinaire vit encore, et que Rimbaud ait existé ? Pour moi je ne crois pas — Je ne vois guère que Jarry (Tout de même, que voulez-vous, tout de même — … — UBU) - II me semble certain que MARIE LAURENCIN vit encore : certains symptômes subsistent qui autorisent ceci — Est-ce bien certain ? — pourtant je crois que je la déteste — oui — voilà, ce soir je la déteste, que voulez-vous ?

Et puis vous me demandez une définition de l’umour — comme cela ! —

IL EST DANS L’ESSENCE DES SYMBOLES D’ÊTRE SYMBOLIQUES

m’a longtemps semblé digne d’être cela comme étant susceptible de contenir une foule de choses vivantes : EXEMPLE : vous savez l’horrible vie du réveille-matin — c’est un monstre qui m’a toujours épouvanté à cause que le nombre de choses que ses yeux projettent, et la manière dont cet honnête homme me fixe lorsque je pénètre une chambre — pourquoi donc a-t-il tant d’umour, pourquoi donc ? Mais voilà : c’est ainsi et non autrement — II y a beaucoup de formidable UBIQUE aussi dans l’umour — comme vous verrez — Mais ceci n’est naturellement — définitif et l’umour dérive trop d’une sensation pour ne pas être très difficilement exprimable — Je crois que c’est une sensation — J’allais presque dire un SENS — aussi — de l’inutilité théâtrale (et sans joie) de tout

QUAND ON SAIT

Et c’est pourquoi alors les enthousiasmes — (d’abord c’est bruyant) — des autres sont haïssables — Car — n’est-ce pas — Nous avons le Génie — puisque nous savons l’UMOUR — Et donc tout — vous n’en aviez d’ailleurs jamais douté ? — nous est permis — Tout ça est bien ennuyeux, d’ailleurs.

Je joins un bonhomme — et ceci pourrait s’appeler OBSES­SION — ou bien — oui, BATAILLE DE LA SOMME ET DU RESTE — oui.

Il m’a suivi longtemps, et m’a contemplé d’innombrables fois dans des trous innommables — Je crois qu’il essaie de me mystifier un peu — j’ai beaucoup d’affection pour lui, entre autres choses.

Jacques Tristan Hylar

Dites bien au peuple polonais que je veux lui écrire — et surtout qu’il ne parte pas comme cela sans laisser d’adresse.

Écrire sur du papier analogue avec le crayon est ennuyeux

A Théodore Fraenkel, le 29 avril 1917

X. 29-4-17.

Cher ami,

J’ai été content de recevoir de vos nouvelles — Et puis, tout de même — de vous savoir à l’abri — Je m’ennuie beaucoup derrière mon monocle de verre, m’habille de khaki et bats les Allemands — La machine à décerveler marche à grand bruit, et j’ai non loin, une étable à TANKS — un animal bien VBIQUE, mais sans joie.

J’ai écrit à Reverdy pour NORD-SVD — peut-être n’est-ce pas une mystification — J’adorerais à ce que vous m’envoyassiez des coupures montrant des dessins et ces sortes de procédés linéaires — j’ose espérer que vous aurez pitié du qui est isolé dans une nation étrangère à guerroyer — et puis ce général Pau qui n’est pas mort encore — Tout de même ! Tout de même !

— En attendant une lettre, je vous salue en divers démiurges.

Jacques Tristan Hylar

A André Breton, le 4 juin 1916

4-6-17.

Cher ami,

J’espère, dans un passage prochain — (vers le 15 ou 20) à Paris, vous y voir — J’ai écrit dans ce sens au peuple polonais au cas où la poste fallacieuse voudrait perdre une lettre — voudrez-vous me répondre si Paris vous contiendra un peu vers ce moment-là ?

Il fait bien brûlant, bien poussiéreux, et suant — mais que voulez-vous, ce doit être exprès — Les files dodelinantes des grands camions automobiles secouent la sécheresse et saupoudrant d’acide le soleil — Comme c’est drôle ! — Apollinaire — tant pis ! — des magazines glacés de girls blondes et les naseaux rasés du cheval-détective sont bien beaux… « the girl I love is on a magazine cover » — Tant pis ! tant pis ! — Et puis qu’est-ce que cela fait, puisque c’est comme ça — Tout de même du culot d’obus les lilas blancs qui suent et s’affalent de vieilles voluptés solitaires m’ennuient beaucoup — des fleuristes estivales d’asphalte où des tuyaux d’arrosage pulvérisent les endimanchements — Il fait très tiède et des personnes avec des lorgnons discutent de bourse je crois, avec des airs de ménagère — Tout de même encore ces odeurs de vieux melons raclés et d’égout m’illusionnent bien peu !… — Et puis cette jeune putain avec son linge qui pend et son odeur mouillée — ! — Une mouche ronde et verte nage dans le thé, les ailes à plat — Eh bien tant pis — voilà tout — Well.

— Well — J’attends de vous une lettre, si vous voulez bien, cependant que le vrombissement banal des avions se gloire de touffes blanches de poudre ; et que cette horrible oiseau file tout droit dans l’éblouissant, en pissant un filet de vinaigre.

Votre ami,

Jacques Tristan Hylar

P.S. : Ci-joint une lettre pour le peuple polonais dont je ne peux décidément pas retrouver l’adresse.

A Théodore Fraenkel, le 4 juin 1916

— Je reçois à l’instant votre « Journal des Praticiens » dont, collègue cher, j’ai à vous remercier — Tant pis ! — Est-ce que tous les collabos de SIC mystifient ensemble M. le Birot ? –

— Ce n’est pas fini, vous savez — et les Allemands nous ont envoyé des boulets encore ce matin, bien qu’à 12 kilos de la ligne — Je serai ennuyé de mourir si jeune neu —

Ah ! puis MERDE.

Je m’en vais avoir l’ennui de passer à Paris et de vous voir — Car j’espère y votre présence vers le 15 ou 20 de ce mois. Écrivez, si vous daignez un mot aussi pour me dire tout cela — et tâchez d’arranger un spectacle à grand effet pour que l’on tue ensemble quelques personnes et que je m’en aille — Écrivez-le au reçu de ce papier, car les papiers mettent la moyenne de 6-7 jours à m’escalader.

Vous ai-je dit avoir reçu « LES CAVES… » et « LE POÈTE » — Apollinaire — c’est quelquefois pourtant encore drôle — Il doit avoir besoin de Phynances tout de même — GIDE — Eh bien — Gide — Quel bon hasard qu’il n’ait pas vécu LE ROMANTIQUE - Quel triste Musset il eût fait je crois — il est déjà presque froid, n’est-ce pas ? — En tout cas je vous remercie — Je ne pouvais plus vraiment lire « ALLAN MASON-DETECTIV » OU bien « L’AUBERGE DE L’ANGE-GARDIEN » et puis les mauvaises plaisanteries me font fusiller quelquefois —

— Pourtant je compte vous voir — j’attends un mot ? —

Votre très dévoué

Jacques Tristan Hylar

A André Breton, le 16 juin 1917

X. le 16-6-17.

Mon cher ami,

J’ai reçu hier au soir votre mot. Je me permets d’inclure y cette sorte de lettre une sorte de dessin. Car décidément je ne peins plus qu’à l’aide d’encres de couleur. Ainsi que je l’annonce à M. J. Cocteau je fais du plaisir de vous voir presque bientôt. Croyant qu’on me laissera débarquer le 23 après-midi à Paris. Et de la sorte je pourrais fort bien aller voir « les Mamell de Tirésias » de Guillaume A. — sur lequel — et ceci est une autre Histoire — je maintiens cet après-midi mon jugement — Vous ai-je dit vraiment que Gide était froid ?

Troisième reprise de ce mot — ÇA COMMENCE À M’AGA­CER — Apparitions des pantins brisables qui s’enquièrent ou vous font plaisir ! — J’abats le quatrième. Well. Avez-vous reçu, il y a bientôt un mois, il me semble, — un individu souriant, très énervant, avec des figures à l’entour qui m’ont fait bien des fois — de colère — éclater de rire un peu ? — Il avait présidé, je crois, un certain temps à mes ébats guerriers et je serai, je l’avoue, déçu d’une perte — Bien — maintenant le chicot-crayon — se raccourcit et se casse — Et il fait une chaleur pleine de mouches et d’odeurs de boîtes de conserves entr’ouvertes. Je suis votre serviteur.

Jacques Tristan Hylar

A Théodore Fraenkel, le 16 juin 1917

X. 16-6-17.

Mon ami, il fait bien chaud mais je vous réponds. Vous estes bien gentil de me parer de rayons, et j’espère être à Paris — (naturellement ma permission fut retardée) — pour la représentation sur-réaliste de Guillaume Apollinaire, que je soupçonne de n’être que peu en retard, peut-être —

Est-ce que vous vous êtes payé pour 2 f de ficelle d’or, qui si joliment soutache l’uniforme, ou cela — (tout est possible après tout) — est-il un don de l’État.. Et puis quand allez-vous remettre l’ordre dans votre royaume ? — J’espère tout de même vous voir à mon passage ? — Mon Dieu, il fait chaud — Jamais je ne pourrais gagner tant de guerres ! ! —

— J’arriverai vraisemblablement à Paris le 23 dans l’après-midi — Voulez-vous être dans l’apéritif pour « la Rotonde », vers 6 1/2 — ? — ou bien répondez si vous pouvez au reçu de ce gâchis et indiquez-moi où, avec un peu de hasard, je pourrai rencontrer soit vous-même ou soit le pohète — ou bien les deux ? mais voudrez ne pas tramer une mauvaise rencontre plaisanterie — ce serait naturellement amusant — mais voudrez-vous considérer que je reste si peu dans la ville-LUMIER ? — J’arriverai — quai d’Orsay — venant d’A…  vers 4 1/2… 6 h. — le 23 après-midi. Je vous suis dévoué.

Jacques Tristan Hylar

A André Breton, le 18 août 1917

18-8-17.

Cher ami,

J’ai pensé bien souvent vous écrire depuis votre lettre du 23 de juillet — mais je n’arrivais jamais à une forme définitive d’expression — et n’y suis pas encore arrivé — Je pense après tout préférable de vous écrire au hasard d’une improvisation immédiate — sur un texte connu presque, et même un peu réfléchi. Nous verrons à produire lorsque les hasards de notre conversation nous auront amenés à une série d’axiomes adoptés en commun « umore » (prononcez : umoreu parce que, tout de même, « humoristique » !) votre schème de pièce m’agrée en somme. Ne croyez-vous pas peut-être bon d’introduire (je n’y tiens pas essentiellement pour le moment) — un type intermédiaire entre le douanier et votre « moderne » n° 1 — une sorte de tapir d’avant-guerre, sans allure, non entièrement débarrassé de beaucoup de superstitions diverses, bien que déjà si âpre d’égoïsme en fait — une sorte de barbare cupide et un peu émerveillé — Toutefois… Et puis, tout le TON de notre geste reste presque à décider — Je le désirerai sec, sans littérature, et surtout pas en sens d’« ART ».

D’ailleurs,

L’ART n’existe pas, sans doute — II est donc inutile d’en chanter — pourtant ! on fait de l’art — parce que c’est comme cela et non autrement — Well — que voulez-vous y faire ?

Donc nous n’aimons ni l’ART, ni les artistes (à bas Apol­linaire) ET comme TOGRATH A RAISON D’ASSASSINER LE POÈTE ! — Toutefois puisqu’ainsi il est nécessaire de dégorger un peu d’acide ou de vieux lyrisme, que ce soit fait saccade vivement — car les locomotives vont vite.

Modernité aussi donc constante et tuée chaque nuit — Nous ignorons MALLARMÉ, sans haine — mais il est mort — Mais nous ne connaissons plus Apollinaire, ni Cocteau — Car — Nous les soupçonnons de faire de l’art trop sciemment, de rafistoler du romantisme avec du fil téléphonique et de ne pas savoir les dynamos. LES Astres encore décrochés ! — c’est ennuyeux — et puis parfois ne parlent-ils pas sérieusement ! Un homme qui croit est curieux.

MAIS PUISQUE QUELQUES-UNS SONT NÉS CABOTINS…

Eh bien — je vois deux manières de laisser couler cela — Former la sensation personnelle à l’aide d’une collision flamboyante de mots rares — pas souvent, dites — ou bien dessiner des angles, ou des carrés nets de sentiments — ceux-là au moment, naturellement — Nous laisserons l’Honnêteté logique — à charge de nous contredire — comme tout le monde.

— O DIEU ABSURDE ! — car tout est contradiction — n’est-ce pas ? — et sera umore celui qui toujours ne se laissera pas prendre à la vie cachée et sournoise et cachée de tout. — O Mon réveille-matin — yeux — et hypocrite — qui me déteste tant ! … et sera umore celui qui sentira le trompe-l’œil lamentable des simili-symboles universels.

— C’est dans leur nature d’être symboliques.

— L’umore ne devrait pas produire — Mais qu’y faire ? — J’accorde un peu d’UMOUR à LAFCADIO — car il ne lit pas et ne produit qu’en expériences amusantes — comme l’assassinat — et cela sans lyrisme satanique — mon vieux Baudelaire pourri ! ! ! Il fallait notre air sec un peu ; machinerie — rotatives à huiles puantes — vrombis — vrombis — vrombis… siffle ! — Reverdy — amusant le pohète, et ennuie en proses, Max Jacob, mon vieux fumiste

— PANTINS — PANTINS — PANTINS — voulez-vous des beaux pantins de bois coloriés ? — Deux yeux — flamme-morte et la rondelle de cristal d’un monocle — avec une pieuvre machine-à-écrire — J’aime mieux.

— Tout ceci vous agace beaucoup parfois — mais répondez-moi — Je repasse à Paris vers les premiers jours d’octobre peut-être pourrions-nous arranger une conférence-préface — Quel beau bruit ! — J’espère bien vous voir en tous cas.

Recevez mon meilleur souvenir.

Jacques Tristan Hylar

A André Breton, le 5 mai 1918

9.5.18.

Cher ami,

— C’est vrai que — d’après calendrier — il y a longtemps que je ne vous ai donné signe de vie — Je comprends mal le Temps, tout compte fait — J’ai souvent pensé à vous — un des très rares — qui voulez me tolérer (Je vous soupçonne d’ailleurs, un peu, de mystification) — Merci.

— Mes pérégrinations, multiples — J’ai conscience, vaguement d’emmagasiner toutes sortes de choses — ou de pourrir un peu.

QUE VA-T-IL SORTIR DE LÀ, BON DIEU.

— Je peux plus être épicier pour l’instant — l’essai fut sans succès heureux. J’ai essayé autre chose — (ai-je essayé ? — ou m’a-t-on essayé à…) — Je ne peux guère écrire cela maintenant — On s’amuse comme l’on peut — Voilà.

Décidément je suis très loin d’une foule de gens littéraires — même de Rimbaud, je crains, cher ami — L’ART EST UNE SOTTISE — Presque rien n’est une sottise — l’art doit être une chose drôle et un peu assommante — c’est tout — Max Jacob — très rarement — pourrait être UMOREU — mais, voilà, n’est-ce-pas, il a fini par se prendre au sérieux lui-même, ce qui est une curieuse intoxication — Et puis — produire ? — « viser si consciencieusement pour rater son but » — naturellement, l’ironie écrite n’est pas supportable — mais naturellement vous savez bien aussi que l’Vmour n’est pas l’ironie, naturellement — Comme cela — que voulez-vous, c’est comme cela, et non autrement — Que tout est amusant — très amusant, c’est un fait — comme tout est amusant ! — (et si l’on se tuait aussi, au lieu de s’en aller ?)

— Soifs de l’Ouest — Je me suis frotté les mains l’une contre l’autre à plusieurs passages — peut-être — mieux encore un peu plus court ? — André Derain naturellement — Je ne comprends pas… « le premier-né c’est l’ange » — C’est d’ailleurs au point — beaucoup plus au point qu’un certain nombre de choses montrées vers l’Hôpital de Nantes.

Votre critique synthétique est bien attachante — bien dangereuse d’ailleurs ; Max Jacob, Gris, m’échappent un peu.

— Excusez — mon cher Breton, le manque de mise au point de tout ceci. Je suis assez mal portant, vis dans un trou perdu entre des chicots d’arbres calcinés et, périodiquement une sorte d’obus se traîne, parabolique, et tousse — J’existe avec un officier américain qui apprend la guerre, mâche de la « gum » et m’amuse parfois — Je l’ai échappé d’assez peu — à cette dernière retraite — Mais j’objecte à être tué en temps de guerre — Je passe la plus grande partie de mes journées à me promener à des endroits indus, d’où je vois les beaux éclatements — et quand je suis à l’arrière, souvent, dans la maison publique, où j’aime à prendre mes repas — C’est assez lamentable — mais qu’y faire ?

— Non — merci — cher ami, beaucoup — Je n’ai rien au point pour le moment — NORD-SUD prendrait-il qque chose sur ce triste Apollinaire ? — auquel je ne conteste pas un certain talent — et qui eut réussi je crois — qque chose — mais il n’a que pas mal de talent — Il fait de bien bonnes « narrations » (vous rappelez-vous le collège ?) — parfois.

Et T.F. ? remerciez-le, quand vous écrirez — de ses nombreuses lettres, si pleines d’observations amusantes et de bon sens — Well.

Votre ami.

Jacques Tristan Hylar

A Théodore Fraenkel, le 12 août 1918

12.8.18.

Cher ami,

— J’aurai voulu répondre à votre lointaine missive par une visite ; mais, naturellement, vous en profitiez pour partir — Je suis presque toujours en prison pour le moment, c’est, pour l’Eté, plus frais — j’ai pourtant bien des assassinats amusants à vous conter — Mais voilà…

— Je rêve de bonnes Excentricités bien senties, ou de quelque bonne fourberie drôle qui fasse beaucoup de morts, le tout en costume moulé très clair, sport, voyez-moi les beaux souliers découverts grenat ?

— Mais je dois me laisser faire — Je suis en consigne ici — dans l’attente de quelles nouvelles aventures ? — Pourvu qu’ils ne me tuent pas pendant qu’ils me tiennent ?… pauvres gens…

— J’espère que ce document vous parviendra lors que vous serez encore vivant, et sans doute fort occupé à couper des membres avec une scie, selon la tradition, et armé d’un tablier blafard où se marque une main huilée de sang frais.

— Je me porte, me semble-t-il bien, malgré que j’y entende peu de chose — mais ne crache — merci — ni ne tousse !

Jacques Tristan Hylar

A Louis Aragon, le 12 août 1918

Cher ami et Mystificateur,

Je reçois à l’instant votre missive, datée 9 juillet — et vos poèmes. Je suis en prison, naturellement et peu apte cependant à exprimer des choses visibles sur votre œuvre : voulez-vous m’en excuser ?

Je me contente de vivre béatement à la manière des appareils photographiques 13x18 — C’est une façon comme une autre d’attendre la fin. Je prends des forces et me réserve pour des choses futures. Quel beau pêle-mêle, voyez-vous, sera ces à-venir et comme l’on pourra tuer du monde ! ! !… J’expérimente aussi pour ne pas en perdre la coutume, n’est-ce-pas ? — mais dois garder mes jubilations intimes, car les émissaires du Cardinal de Richelieu…

J’avais bien dit que ce pauvre G. Apollinaire écrivait, vers la fin, dans la « Bayonnette » — encore un qui ne s’est pas « pendu à l’espagnolette de la fenêtre » mais il était déjà lieutenant trépané, n’est-ce pas, et on le décora — Well.

On lui laissera peut-être le titre de précurseur — nous ne nous y opposons pas.

Il y a surtout des mouches plein le soleil, et des gamelles douteuses bourdonnantes — il me faudrait des bons complets de serpillère vert d’eau, un gilet blanc de barman — et ces femmes à la dissolvante odeur de linge sale parfumé…

Et vous, cher ami ?

Jacques Tristan Hylar

A André Breton, le 14 novembre 1918

14.11.18.

Bien cher ami,

— Dans quel affalement me trouva votre lettre ! — Je suis vide d’idées, et peu sonore, plus que jamais sans doute enregistreur inconscient de beaucoup de choses, en bloc — Quelle cristallisation ?… je sortirai de la guerre doucement gâteux, peut-être bien, à la manière de ces splendides idiots de village (et je le souhaite)… ou bien… ou bien… quel film je jouerai ! — Avec des automobiles folles, savez-vous bien, des ponts qui cèdent, et des mains majuscules qui rampent sur l’écran vers quel document !… Inutile et inap­préciable ! — Avec des colloques si tragiques, en habit de soirée, derrière le palmier qui écoute ! — Et puis Charlie, naturellement, qui rictusse, les prunelles paisibles. Le Policeman qui est oublié dans la malle ! ! !

— Téléphone, bras de chemise, avec des gens qui se hâtent, avec ces bizarres mouvements décomposés — William R.G. Eddie, qui a seize ans, des milliards à nègres-livrées, de si beaux cheveux blancs cendre, et un monocle d’écaillé. Il se mariera.

Je serai aussi trappeur, ou voleur, ou chercheur, ou chasseur, ou mineur, ou sondeur — Bar de l’Arizona (Whisky — Gin and mixed ?), et belles forêts exploitables, et vous savez ces belles culottes de cheval à pistolet-mitrailleuse, avec étant bien rasé, et de si belles mains à solitaire. Tout ça finira par un incendie, je vous dis, ou dans un salon, richesse faite — Well.

— Comment vais-je faire, pauvre ami, pour supporter ces derniers mois d’uniforme ? — (on m’a affirmé que la guerre était terminée) — Je suis on ne peut plus à bout… et puis ILS se méfient… ILS se doutent de quelque chose — Pourvu qu’ILS ne me décervèlent pas pendant qu’ILS m’ont en leur pouvoir ?

— J’ai lu l’article (dans Film) sur le cinéma, par L.A., avec autant de plaisir que je puis, pour le moment. Il y aura des choses assez amusantes à faire, lorsque déchaîné en liberté

ET

GARE !

— Voudrez-vous m’écrire ?

Votre bon ami

Harry James.

A André Breton, le 19 décembre 1918

19.12.18.

Mon cher André,

… Moi aussi aimerai à vous revoir — Le nombre des subtils est, décidément, très infime — Comme je vous envie d’être es-Paris et de pouvoir mystifier des gens qui en valent la peine ! — Me voici à Bruxelles, une fois de plus dans ma chère atmosphère de tango vers trois heures, le matin, d’industries merveilleuses, devant qque monstrueux cocktail à double paille et qque sourire sanglant — J’œuvre des dessins drôles, à l’aide de crayons de couleur sur du papier gros-grain et note des pages pour quelque chose — Je ne sais trop quoi. Savez-vous que je ne sais plus où j’en suis : vous me parliez d’une action scénique (les caractères — rappelez-vous — vous les précisiez) — puis de dessins sur bois pour des poèmes vôtres — Serait-ce retardé ? Excusez-moi de mal comprendre votre dernière lettre sybilline : qu’exigez-vous de moi — mon cher ami ? — L’UMOUR — mon cher ami André… ce n’est pas mince. Il ne s’agit pas là d’un Néo-naturalisme quelconque — Voudrez-vous quand vous pourrez — m’éclairer un peu davantage ? Je crois me souvenir que, d’accord, nous avions résolu de laisser le MONDE dans une demi-ignorance étonnée jus­qu’à quelque manifestation satisfaisante et peut-être scandaleuse. Toutefois et naturellement, je m’en rapporte à vous pour préparer les voies de ce Dieu décevant, ricaneur un peu, et terrible en tout cas — Comme ce sera drôle, voyez-vous, si ce vrai ESPRIT NOVVEAV se déchaîne !

— J’ai reçu votre lettre en multiples découpures collées, qui m’a empli de contentement — C’est très beau, mais il y manque qqu’extrait d’indicateur de chemin de fer, ne croyez-vous pas ?… Apollinaire a fait beaucoup pour nous et n’est certes pas mort ; il a, d’ailleurs, bien fait de s’arrêter à temps — C’est déjà dit, mais il faut répéter : IL MARQVE VNE ÉPOQVE. Les belles choses que nous allons pouvoir faire ; - MAINTENANT !

— Je joins un extrait de mes notes actuelles — peut-être voudrez-vous le mettre à côté de poème vôtre, quelque part en ce que T.F. nomme « les gazettes mal famées » — Que devient ce dernier peuple ? — dites-moi tout cela, Voyez-moi comme il nous a gagné cette guerre !

— Etes-vous à Paris pour quelque temps ? — Je compte y passer d’ici un mois environ, et vous y voir à tout prix.

Votre ami.

Harry James

26 novembre 1918

Blanche Acétylène

Vous tous ! — Mes beaux whiskys — Mon horrible mixture ruisselant jaune — bocal de pharmacie — Ma chartreuse verte — Citrin — Rose ému de Carthame

Fume !

Fume !

Fume !

Angustures — noix vomique et l’incertitude des sirops —

Je suis un mosaïste

…« Say, waiter — you are damn’fraud, you are — »

Voyez-moi l’abcès sanglant de ce prairial oyster ; son œil noyé me regarde comme une pièce anatomique ; le barman me regarde peut-être aussi, poché sous les globes oculaires, versant l’irisé, en nappe, dans l’arc-en-ciel.

OR

l’homme à tête de poisson mort laisse pendre son cigare mouillé. Ce gilet écossais !

— L’officier orné de croix — La femme molle poudrée blanche

bâille, bâille et suce une lotion capillaire (ceci pour l’amour).

— « Ces créatures dansent depuis neuf heures, Monsieur, » —

Comme ce doit être gras — (ceci pour l’érotisme voyez-vous).

— alcools qui serpentent, bleuis, somnolent, descendent, rôdent, s’éteignent.

Flambe !

Flambe !

Flambe !

Mon APPOPLEXIE !!

N.-B. — Les lois, toutefois, s’opposent à l’homicide volontaire (et ceci pour morale… sans doute ?)

Harry James

Le sanglant symbole

nouvelle, par Jean-Michel Strogoff

Quand la grande Lutte s’était dressée sur un horizon de décadence, Théodore Letzinski terminait de brillantes études de médecine.

Il était de ceux dont on dit : « il ira loin » — Son profil slave et sa parole imprégnée du charme de même marque étaient bien connus dans les milieux de la Pensée Libre.

— Théodore Letzinski, comme tous les étudiants russes était anarchiste et ses yeux, légèrement fendus en amande, très doux, avaient des éclairs quand on parlait des possessions que son père avait sur les bords du Brachylon.

— La mobilisation, fiévreuse de choses secouées, le surprit en plein rêve — Frappé dans ses croyances les plus chères d’« humanité », il fut mobilisé en tant qu’infirmier militaire — vaguement ému de revêtir cet uniforme exécré qui s’agrandissait des événements.

— Et puis, non encore gagné à la cause Civilisée qui, malgré lui le prenait pour prosélyte, Théodore Letzinski partit au feu — un jour qu’il faisait chaud et qu’il relisait Kropotkine, Karl Marx, et P. de Malpighi.

— Alors, la conversion sainte s’opéra ; le vieux sang de ses aïeux frémit en lui et le guerrier antique porteur du knout à huit nœuds s’éveilla. Il fut sur le point de tuer plusieurs boches et on le rencontrait dans le dédale des tranchées, l’œil étrange et se frappant la poitrine.

— Il y eut une attaque : le premier, et malgré l’insigne pacifique de son bras, il s’élança, et sans entendre les balles qui mordaient son corps ascétique, ne s’arrêta que dans la troisième ligne allemande, seul — Et puis, il s’affaissa — un officier allemand, comme c’est l’usage, commanda qu’on lui coupât les poignets, puis, avec un sourire :

« … que l’on m’apporte les dépêches » dit-il et il lut les succès de son empire à l’agonisant… Verdun, pris… Varsovie et le Malpighi en flammes, le décervelage de Monsieur Poincaré…

— L’œil fixe et slave, Théodore Letzinski écoutait — son sang coulait tout doucement et commençait à mouiller les genoux de ceux qui l’entouraient — quelques allemands y plongèrent leur quart et burent.

— Théodore Letzinski semblait ne rien sentir et ne rien voir — à l’aide de ses moignons horribles et de ses dents, il se livrait à une étrange opération.

— L’officier prussien continuait son horrible lecture :

— « Toutes les églises livrées par M. Barrès, le secret de poésie abandonné par A… B… »

Théodore, exsangue, ne pouvait plus parler — mais son travail était terminé — Sur l’horrible bouillon pourpre qui montait toujours — mer épouvantable — il abandonna un Symbole.

— Un petit bateau de papier flottait.

Copyright par Jacques Tristan Hylar

H.K. 60th. Dir. train A.S.C.

B.E.F.